La terre. Immense et puissante, soutenante et rassurante. Son père. Le torse exposé au soleil, les muscles saillants, l'homme travaillait. Le bras levé s'abattit dans un arc de cercle parfait. Un geste, simple, rapide, efficace. Le rondin s'ouvrit en deux, tombant de chaque côté de la hache qui venait de le trancher. Philipe redressa les épaules et plaça une nouvelle buche sur la souche. Face à elle, assit à même le sol Noah observait son père. Il arrive tout de même des phénomènes étonnants. Comment cet homme à la peau mate, cet athlète taillé dans de la testostérone avait-il pu être à l'origine du garçon qui s'abritait sous un arbre pour éviter de saigner du nez. Si l'un déchirait ses tee-shirts sous la pression de ses impressionnants biceps, l'autre trouait ses pantalons à force de trébucher sur les racines. C'est d'ailleurs pour ça que celui-ci était assis à regarder le premier s'essouffler. Il se serait bien levé pour aller l'aider, mais le mage savait très bien qu'il ne parviendrait même pas à lever la hache au dessus de sa tête. Même sa magie qu'il avait eu tellement de mal à maitriser ne lui était d'aucune utilité dans cette situation. Alors, pour palier à sa gène et oublier son malaise, il reversa la tête en arrière et planta ses yeux dans le ciel à peine plus clair que ces derniers. Il resta ainsi jusqu'à ce que le soleil commence à se rapprocher dans l'horizon. De toute façon, il ne risquait rien, sa peau porcelaine n'avait encore jamais connu de variation de teinte. Pourtant, avec ses 1m74 il avait de la surface à exposer. Avant de se relever, Noah passa machinalement la main dans ses cheveux blonds et en tira quelques-uns devant son nez. Toujours noirs, parfait, son illusion était encore active. Parce que oui, ça pourrait paraître ridicule mais c'est là sa manière à lui de s'entrainer, se faire de fausses colorations. Bon aller, il ne pouvait peut être pas couper du bois, mais faire à manger devrait être à sa mesure non ?

La mer. Douce et implacable, belle et infinie. Sa mère. C'est bercé par les vagues, respirant l'air salin, criant sa faim aux mouettes que Noah aurait vécu ses premiers mois. Issu de l'union improbable d'un nuage et d'une vague, l'océan l'aurait porté en son sein pendant neuf ans avant de le relâcher et de le confier à une tortue verte qui l'aurait mené jusqu'à Philippe, son père adoptif. Noah, lui n'a aucun souvenir de cette histoire et il ne s'en souci pas plus que ça, son père ne lui aurait jamais menti et il le croyait sur parole. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le magicien ne considéra jamais cette naissance particulière comme un signe de sa supériorité sur les autres. Non pas qu'il en ait honte, bien au contraire, mais cette histoire avait bien souvent permit au garçon de ne pas se perdre lui-même. Ainsi, lorsqu'il avait appris que les enfants de sa ville étaient nés à la suite de la fécondation d'un bocal par un crayon (bon il n'a pas encore compris tous les détails, mais il sait comment ça marche et c'est le principal), son mal-être c'était enfin envolé puisqu'il venait de comprendre l'origine de sa différence ce qui permettait d'expliquer les difficultés qu'il éprouvait à s'intégrer. À partir de ce moment le garçon cessa de chercher à se méler aux autres pour s'adonner enfin totalement à sa passion : Les oiseaux. Noah avait eu l'occasion de les rencontrer très tôt, sans parler des premiers mois de sa vie, il vivait tout de même en bord de mer à l'orée d'une forêt. Pourtant, ce ne fut ni pour les cormorans, ni pour les pics épeiches que le garçon eut une véritable fascination, mais pour le Héron. Créature majestueuse et fière, calme et immobile, éphémère et respectable. Cette rencontre fut un tournant dans la vie du futur magicien qui semblait inconsciemment vouloir tendre vers cet idéal. S'il avait encore beaucoup d'efforts à fournir pour rejoindre ce modèle, il possédait en revanche déjà quelques similitudes avec l'échassier. Tout d'abord, Noah était, vous l'avez compris j'espère, d'un naturel solitaire. Ensuite, immobile. Immobile car dénué de toute capacité physique, incapable de sprinter sur plus de 10 mètres, il se contente de marcher. Enfin : calme, il ne s'agit pas vraiment de quelqu'un d'hyper actif ou d'un moulin à paroles, son mode de vie : observer, écouter, comprendre.

Ce qui me permet de vous parler du dernier point important en ce qui le concerne. Malgré son esprit lunatique, son imagination débordante et sa naïveté sans faille, le garçon est curieux et l'est de manière assez démesurée dans un domaine bien particulier : la société. Sensible, Noah ne peut pas s'empêcher d'essayer de comprendre les gens, ainsi il partage leur peine ou leur joie et adapte son humeur à celle de ceux qui l'entoure. À cette sensibilité s'ajoute les fruits de sa pratique religieuse à savoir compassion et philanthropie. Voilà Noah, un enfant qui, emprisonné par ses rêves et l’imagination de son père, n'aura pas eu l'occasion de grandir. Espérons que ça change.

Le ciel. Alors, c'est de lui qu'il était issu. Cette pensée le ravissait, les oiseaux volent dans le ciel. Infiniment heureux, Noah tendit les bras vers les nuages et poussa un cri de joie. Pourtant ce n'était pas à partir d'une vague et d'un nuage qu'il avait été créé, mais bien par un homme et une femme. Un bucheron et une astrologue. Deux opposés à l'origine d'un seul être. Un être qui lui-même apparaissait contradictoire. À la fois curieux et silencieux, solitaire et ouvert, extrêmement émotif. C'est peut-être à cause cette sensibilité que son père lui cacha jusqu'à l'existence de sa mère. Il n'y voyait pas là un secret ou un mensonge, mais au contraire du respect envers celle qui avait donné naissance à son fils. D'une santé fragile, dont son enfant hérita, la jeune madame Avalon ne réussit pas à combler l'épuisement qui suivit la naissance de Noah et mourut à peine une semaine après l'accouchement. C'est donc tout seul que Philippe assuma l'éducation de son fils. Du moins durant les premières années. Car il prit rapidement conscience qu'il était incapable d'inculquer un savoir théorique solide sur ce qui ne touchait pas à la nature. Quand il eut 10 ans, Noah fut donc confié à instructeur. Étonnement, il se plaisait dans les études et démontra, fautes de capacités physiques, sa vivacité intellectuelle. Toutefois sa pseudo-sociopathie l'empêchait de prétendre à un emploi dans le domaine scientifique ou sociable où l'on aurait exigé de lui, au moins des aptitudes au travail collectif, ce qu'il ne possédait pas. C'est donc par défaut que l'adolescent se dirigea vers la magie. Toutefois, après quelques recherches, il parvint à trouver un maitre dans un domaine qui semblait tailler pour lui : La magie des illusions. Jour après jour, son apprentissage le comblait de joie, le soir lorsqu'il s'endormait après une longue série d'exercices, il rêvait déjà des spectacles qu'il produiraient, seul au centre d'une immense rue principale entrain de faire des tours aux enfants avec pour unique récompense le sourire rayonnant de chacun d'entre eux. Au bout de 8 ans, sont professeur déjà très âgé fini par lui annoncer que le reste, il devrait l'apprendre par lui-même. Les adieux passés, son cœur battant la chamade, il ferma son sac et partit à la conquête des rires.