Vance avait décidé de prendre un peu l'air. Mais à quel prix! Il partit alors à la recherche d'une occupation, avec l'enthousiasme d'un gamin sympatoche, sous le soleil et les magnifiques fleurs rosées qui poussaient cette année sur les arbres, courbés vers le chemin, tel un majordome plié devant ses maîtres. Ou plutôt... Les feuilles mortes, le temps horrible et les quelques détritus qui traînaient sur la route. C'était un endroit délaissé, et désert, on pouvait presque entendre des pleurs d'enfants percer entre la terre ferme et les Enfers... Voir quelques squelettes lui barrer la route ne l'aurait même pas étonné. Vance poussa un long soupir, qui forma un peu de buée dans l'air, s'envolant en forme de tourbillon. Il faisait plutôt frisquet, ce jour là, heureusement qu'il avait emmené avec lui un sweatshirt, qui lui tenait chaud. Mais à peine passé les premières minutes de marche, qu'il éternua, le froid lui rongeant les doigts et le visage tremblotant. Il avançait, le pas lourd et le nez rouge, qui contrastait avec son teint très pâle. Il n'avait pas l'air très en forme...

Il sortit une petite barre chocolatée de sa poche, et la croqua à pleines dents, ennuyé et fatigué. C'est alors qu'il aperçut une silhouette. En se rapprochant, il comprit qu'il s'agissait d'une fille. Après une rapide analyse, il en déduit qu'elle avait un peu près le même age que lui. Elle ne semblait pas vraiment souffrir du froid, elle. La chance... Il finit la barre et jeta l'emballage sur le sol. Il se rapprocha d'elle à pas rapides, se préparant déjà une confrontation. Un peu d’électricité s'échappait de son doigt, sans qu'il ne s'en rende compte avant un petit moment. Il était nerveux? Non. Il a arrêté, et a tout de suite engagé la conversation, ne lui laissant pas le moindre temps de dire quelque chose. Il voulait connaître ses intentions. Pour sa part, il pensait avoir été assez clair :

Il se l'était bien imaginé, ce qui l'aurait étonné c'est qu'elle sache où elle se trouvait. Vance haussa les épaules, son regard de givre plongé dans le sien, comme si il cherchait à y percer quelque chose, autre chose que l'horrible réalité : c'était une fille, soit un individu qui avait 85% de chance d'avoir une personnalité désagréable. Son rictus moqueur se fendit en un sourire froid, restant en suspens, comme s'il allait dire quelque chose, mais il n'en fit rien. Il réfléchissait juste à ce qu'il venait de faire. Alors qu'il y a quelques secondes, il grelottait en jurant, il faisait part de son talent pour la locution à une inconnue, à cœur ouvert et aux manières légèrement moqueuses. C'était ce qu'on appelait plus généralement du foutage de gueule. Il se demandait si son interlocutrice s'en était rendue compte. Il sortit de ses réflexions quelques secondes afin d'étudier sa réaction, mais elle était restée impassible. Il replongea donc aussitôt dans son subconscient. A quoi cette nouvelle rencontre allait-elle servir? En quoi cette fille lui serait-elle utile?

Lui parler ne serait pas bénéfique, alors pourquoi l'avait-il fait? L'ennui, sûrement. Vance tapota ses doigts contre sa jambe, pensif, faisant resurgir un petit peu d'électricité statique, assez répétitivement, ce qui faisait penser au rythme d'une chanson qu'il avait déjà entendu. Ce petit tapotement avait le don pour perturber ses adversaires, les rendant nerveux, ou les énervant, tout simplement. Même si il semblait que Vance ne s'en rendait pas compte, il le faisait exprès, dans le but de voir les expressions agacées des personnes aux alentours. A partir de ce moment, on se rendait compte qu'il valait bien les surnom qu'il portait. (« Petit c☮n, sale petit s☺l☼pard » et tant d'autres expressions du bonheur). Mais il ne fallait pas croire tout ce qu'on dit, il pouvait aussi se montrer agréable, notamment quand il voulait obtenir quelque chose. Il poussa un soupir, avant de se ravir de -son plus beau sourire?- tête de mort, esquissant juste un léger sourire, à peine perceptible. Il essayait d'imiter Lacie, pour avoir l'air d'être aussi désespéré qu'elle l'était. Et le résultat était plutôt réussi. Il changea alors de tête en une fraction de secondes. Il ne tendit pas la main à son interlocutrice, pour se présenter, non, il allait se prendre un vent et il le savait. Il se la jouerait désinvolte, cette fois.

Elle ne savait même pas où elle se trouvait, et il lui demander où elle voulait aller. Ce n'était pas logique. Mais en reprenant tout le raisonnement de Vance, depuis le début, ça devenait logique. En prononçant ses paroles, il la jaugeait du regard, parcourant son corps, n'en oubliant aucuns détails. Le jeune homme avait l'air intimidant, comme ça, mais son sourire amusé balayait toute cette image pour en donner celle de quelqu'un d'amical.

Il avait été bombardé de questions. Deux, c'était un exploit! Heureusement, le petit cerveau de Vance marchait encore, et il les étudia tranquillement, calmement, une par une. Comment allait-il répondre le plus délicatement possible sans que cette fille ne se rende compte qu'il se fichait ouvertement d'elle? Il semblait y méditer, les sourcils froncés, un sourire léger, à peine perceptible, accroché aux lèvres. Et s'il lui répondait pourquoi pas? Non, elle comprendrait. Et puis d'abord, pourquoi tant de questions? Tss... Il était tombé sur quelqu'un de logique! Mais si elle voulait jouer à ça avec lui... Lui aussi pouvait faire preuve de logique, de beaucoup de logique! Enfin, c'était sa logique à lui. Bien sûr qu'il était capable de la guider à sa destination. Pour qui se prenait-elle? Son sourire s'évanouit et son froncement de sourcil s'accentua. Mais... pourquoi il s'énervait? Il y avait beaucoup trop de pourquoi. Il lâcha un petit sifflement agacé, avant de retrouver son sourire, qui était, néanmoins cette fois, un peu plus agressif. Il plongea ses mains dans les poches de son sweatshirt, et se mit à tourner autour de Lacie, lentement... Il semblait avoir oublié le froid. A moins que tout ceci, tout à l'heure, n'était qu'une simple comédie?

Elle avait l'air énervée, et ça l'amusait, mais ce n'était pas la seule raison pour laquelle il insistait. S'il était là c'est pour dégotter des gens louches, il pensait notamment aux mages noirs, qu'il avait particulièrement envie de persécuter avec son comportement... disons, légèrement agaçant. S'il s'avérait qu'elle était en zone neutre, il ne l'ennuierait pas plus que ça, et s'en irait. Dans le cas contraire... Mais le temps qu'il trouve des informations sur son interlocutrice, il fera déjà nuit, des siècles se seront écoulés. En plus, les mages noirs ont beau être un peu mégalo', ils ne sont pas assez stupides pour crier sur les toits leur nature. Quoique, certains...

Elle avait souri! Elle commençait à l'imiter! C'était un bon début. -le début de la fin- Vance l'observait toujours, analysait son expression, y décelait un petit peu de... nervosité? Il gloussa. Il la perturbait? Il la perturbait! Son gloussement partit dans un grand rire. Il dut reprendre son souffle, les mains posés sur ses genoux, le visage toujours hilare. Pourquoi devrait-elle le lui dire? Une bonne question. Soudain, le sourire de Vance s'évanouit, laissant place à une expression malsaine, morose, suivi d'un long regard sinistre. Sa voix se fit soudain plus grave, plus sérieuse :

Il resta encore quelques instants comme ça, ses yeux plongés dans les siens, puis il repartit en fou rire. Elle devait se demander quel mal l'avait encore piqué, mais Vance continuait à rire, se moquant d'elle. Les réactions des êtres humains étaient tellement drôle! Il aurait pu faire ça toute sa vie. Il essuya ses larmes et reprit de son sérieux -ou pas- :

Est-ce qu'elle venait d'insinuer quelque chose à l'instant? Est-ce qu'elle avait sous-entendu que ses mains baladeuses viendrait un jour toucher les pores de sa peau? Il fallait choisir ses mots avec délicatesse. Se moquer d'elle ou la prendre au sérieux? Vance se résigna, il y avait une limite à son tempérament explosif. Il se tut alors, esquissant un simple sourire, et fit demi-tour, commençant à marcher sur ses pas. Il était parti les mains vides, il revenait avec une inconnue, pas mal, pas mal... Même s'il aurait désiré un peu plus d'action, le jeune homme ne déchantait pas pour autant. Au contraire, cela pouvait se montrer intéressant. Il rendrait cette situation intéressante. Il sifflota alors, à Lacie, alors qu'il était en train de marcher à grands pas, les mains dans les poches :

Il y avait quelque chose de différent. Son visage avait beau être moqueur, sa voix enjôleuse et ses manières identiques, on pouvait détecter un semblant d'humanité sous cette couche de connerie. Son comportement ne le montrait pas, mais il fallait être stupide pour ne pas l'avoir remarqué...

Sans faire exprès? Il fallait chercher profond, pour tomber ici, à moins qu'elle n'habite dans un village paumé. Il lâcha un petit gloussement, hochant la tête en entendant la justification de Lacie, mais ne le mit pas en cause. Il lui expliqua qu'il s'ennuyait, et par mégarde, il était tombé sur ces forêts. Il y avait du vrai, dans tout cela, mais ce qu'il cherchait, il ne le précisa pas. Il commença alors à lui raconter sa vie, voulant faire un peu de présence, pour briser la glace. Il ne voulait pas qu'il y ait trop de distance entre eux, ce n'est pas qu'il était bavard, ou qu'il aimait le silence, mais pour garder de bons contacts, il fallait toujours avoir de bonnes relations avec eux. Cette fille l'intriguait peu, c'est à peine si elle l’intéressait, mais il appréciait quand même sa présence. C'était un sentiment nouveau. Il s'interrompit dans ses aventures, pour lui demander de se présenter, à son tour. A son avis, ses efforts étaient vains... Il fallait toujours essayer. Il n'osait pas vraiment l'avouer, mais il était intéressé. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas parlé comme ça à quelqu'un, la plupart des choses qu'il disait, c'était la plupart du temps des injures et quelques remarques inutiles.

Même âge? Curieux. Il sifflota, l'air détendu. Il était clairement intéressé. Ils arrivèrent sur un endroit dégagé, après avoir esquivé les quelques ronces qui leur bloquait le passage, ronces qui faillirent lui arracher quelques bouts de tissu. C'était l'endroit d'où il était parti, il le reconnaissait... Il pensait, qu'à cet endroit là, c'était obligé, elle ne pouvait pas se perdre. Mais juste pour s'en assurer, il lui demanda quand même si elle allait pouvoir se débrouiller d'ici là. Il s'apprêtait déjà à rire, si elle était vraiment perdue, ce serait marrant à voir. La réaction de la tsundere. Ce n'était pas méchant, c'était juste un petit jeu pour lui. Il détailla le paysage, attendant que Lacie dise quelque chose. Il venait de remarquer quelque chose : il faisait un peu moins frais, ici, alors il n'eût pas à s'obliger à ne pas claquer des dents, au contraire, il commençait à avoir chaud. Il enleva alors sa capuche, laissant découvrir son cou nu et ses cheveux d'une blancheur qui ne semblait pas être naturelle. On lui avait toujours dit qu'il avait été formé étrangement, son visage était toujours trop angélique, ses yeux trop bleu, ses cheveux trop blanc. Il ne savait pas ce que sa mère fumait quand elle était enceinte, mais c'était de la bonne.

Vance haussa un sourcil : elle s'était inclinée, sérieux? Il se remit assez rapidement de sa surprise, avant de glousser. Il était content d'avoir partagé son chemin avec elle, c'était marrant. Il levait les yeux vers le ciel, réfléchissant à ce qu'il venait de penser... Était-il bête ou tout simplement masochiste? Il se rendit compte, en baissant ses yeux, que son interlocutrice fixait ses cheveux. Que pensait-elle? Elle se moquait d'elle? Elle s'en fichait? Les dents du mage grincèrent, s'attendant à une remarque désagréable. Ses sourcils ne se froncèrent pas, son rictus était toujours figé, mais son regard vacilla un peu. La première chose que Lacie dit fut :

C'est ça, fiche-toi de moi. Il la regardait, désappointé. Que faire, maintenant? S'incliner? Non, non. Il s'empêcha de rire, en s'imaginant s'incliner sérieusement... Une fois calmé intérieurement, il la salua, d'un bref geste de la tête. Il pouvait être poli, lui aussi, mais il préférait le respect. Quelle différence? C'était dur à décrire, mais selon Vance, il y avait un faussé entre les deux. Il poussa un soupir. Bon, la petite conversation était terminée, maintenant il allait retourner bien tranquillement au repaire de la guilde et faire le plein de pots de pâte-à-tartiner en songeant à son passé en attendant que quelque chose se passe. Retour à l'ennui habituel. Et sans un mot de plus, il fit demi-tour et s'en alla, en lui laissant sous-entendre qu'ils se reverraient.