Sujet: [Flashback] La larme du Tigre Lun 21 Oct - 1:48
La larme du Tigre
L’air glacial de cette rude journée d’hiver s’insinuait dans ses poumons, pénétrant au plus profond de son être jusqu’à le frigorifier de l’intérieur. Les premières neiges étaient tombées peu de temps auparavant et le ciel saupoudrait les terres d’un manteau blanc immaculé depuis une dizaine de jours. Le froid s’était donc abattu dans l’une des régions les plus reculée de Fiore, encore plus rude et désagréable qu’à son habitude. Alors qu’il parcourait les longs couloirs du manoir illuminés par la lumière transperçant les vitraux de la bâtisse, de subtiles volutes de fumée s’échappaient de sa bouche, dansant avec grâce sous son nez et trahissant sa respiration saccadée malgré son air calme et posé. Ses yeux remplis de détermination fixaient un point au bout de cette allée magnifique qui menait jusqu’aux chambres et il n’arrivait pas à détourner son regard de la porte en chêne massif qui se dessinait peu à peu devant lui. Il semblait drapé d’un tissu fait de ténèbres qui virevoltait à chaque pas qu’il faisait, une cape d’ombre que même la lueur du jour n’arrivait pas à éclaircir. Derrière lui, une masse noire se répandait sur les murs et sur les fenêtres, recouvrant le sol d’une obscurité angoissante, masquant des masses difformes qui jonchaient le carrelage : des corps ensanglantés qui avaient été déchirés avec une violence inouïe dont certains lambeaux de chair semblaient avoir été carbonisés. Certains de ces cadavres gisant dans une mare de sang séché étaient encore chauds, témoignant de la récence du combat qui s’était déroulés en ces lieux. Ils disparurent rapidement, engloutis par ces ténèbres qui semblaient converger vers cette porte, attirées par ce qu’il y avait à l’intérieur. Le soleil qui brillait à l’extérieur semblait suivre sa progression dans le couloir, laissant tomber un voile ténébreux sur le manoir lorsque ses rayons cessaient de filtrer à travers les vitraux sublimes de cette allée sans fin. Lentement, il arriva au bout du couloir, caressant le bois sculpté de ses doigts en inspirant un bon coup.
L’énorme porte en bois grinça légèrement quand il la poussa, dévoilant derrière elle une chambre somptueuse digne des plus beaux palais de ce monde. Un lustre de cristal éclairait la salle, pendu au-dessus d’un piano à queue d’un noir ébène qui trônait au centre de la pièce. Allongé sur le lit, un homme aux traits marqués par le temps semblait dormir. Ses jambes avaient été comme sectionnées et les draps avaient pendant la nuit virés à l’écarlate. Il était exceptionnel que l’homme soit toujours en vie après avoir perdu autant de sang, mais la faiblesse qui se lisait sur son visage montrait à quel point sa souffrance était grande. Inspectant l’endroit d’un bref coup d’œil, Allen avança lentement jusqu’au couchage pour y voir sa victime. Il n’appréciait absolument pas d’être là et aurait aimé en finir le plus rapidement possible. Pourtant, une force qu’il n’arrivait pas à définir l’avait contraint à rester ici plusieurs jours, à siéger dans cette demeure le temps de trouver la force de finir le travail qu’il était venu accomplir ici : une vengeance…. Sa vengeance.
Il se dirigea vers le piano, ses doigts effleurèrent les touches nacrées sans que l’instrument ne produise le moindre son. Puis une note raisonna dans la pièce, une simple touche pressée qui suffit à réveiller l'homme alité. Le jeune Silantis prit place devant le piano, dos au lit, caressant les touches comme pour s’échauffer et attendant patiemment que son ‘’hôte’’ retrouve ses esprits :
- Vous êtes enfin réveillé ? Bien…. Je vous ai longuement observé cette nuit, j’ai vu votre esprit être rongé par vos cauchemars, votre corps se tordre de douleur. J’imagine que vous n’êtes pas habitué à être celui qui est tourmenté...
Le silence qui s’ensuivit fut la seule réponse à la question que venait de poser le maître des ombres. Ne s’attendant pas à la moindre réaction de la part de son interlocuteur il continua donc à jouer lentement, un air à la fois calme et inquiétant, en accord avec l’ambiance qui régnait dans la salle. A l’entrée de la chambre, les ombres commencèrent à pénétrer dans la pièce, longeant les murs, le sol, le plafond. Elles étaient lentes, se mouvaient au rythme de la musique, attendant leur heure.
- Je me doute que vous savez pourquoi je suis là, même si je pense que c'est assez évident… Après avoir décimé votre garde personnelle et coupé vos jambes pour vous empêcher de fuir, j’imagine que mes intentions sont faciles à deviner. Mais avant de vous tuer, j’aimerais vous raconter une histoire… Vous en connaissez peut-être une partie, mais je fais sans doute ça plus pour moi que pour vous… Et puis c’est un peu un conte de fée, mon conte de fée ! Et il n’y aurait pas d’Happy Ending pour vous malheureusement, ni pour moi d’ailleurs...
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Spoiler:
La claque partit si vite qu’il n’eut pas le temps de se protéger. Il sentit des doigts boudinés s’écraser sur sa joue, le faisant perdre l’équilibre avant que son épaule ne heurte le sol avec violence. Allen porta sa main sur son visage, se massant légèrement pour dissiper la douleur. Devant lui se tenait un homme grand et bedonnant, les yeux injectés de sang et le visage rouge. Son crâne dégarni aurait pu faire rire le gamin s’il n’avait pas aussi peur des représailles qu’un tel acte engendrerait.
- Non mais tu te fous de moi ? C’est tout ce que t’as gagné cette semaine ? T’as intérêt à me rapporter le double la semaine prochaine morveux, faute de quoi c’est fini, t’as plus ma protection ! T’es une petite merde, je comprends pourquoi ta mère t’as appelé Ludivine !
L’homme tourna les talons avant que l’enfant n’ait le temps d’ouvrir la bouche et s’en alla aussi rapidement qu’il était venu. Une fois l’homme disparu, Allen poussa un juron et se traîna jusqu’à un mur pour s’y adosser. Il soupira longuement, fouillant dans sa poche pour en sortir quelques pièces qu’il avait secrètement gardé sur lui, ce qui le fit légèrement sourire. Les arnaques, voilà le nerf de la guerre quand on est un enfant comme lui. Ses yeux se posèrent sur un carton mouillé à quelques mètres de lui : c’était ici qu’il était né ! Pas à cet endroit précis, mais dans une ruelle similaire. Il faisait partie de ces enfants abandonnés qui peuplaient les bas-fonds des grandes villes. Gamin martyre laissé à la rue par des parents inconscients, gosse du caniveau fait pour mourir de faim dans l’ombre, les appellations qui désignaient les enfants comme lui ne manquaient pas et entre le froid qui régnait en cette saison à Crocus, les gens peu scrupuleux et la rudesse de la vie de sans-abri, ceux qui survivaient n’étaient pas légions.
Sa mère à lui, elle l’avait abandonné alors qu’il était encore un bambin incapable de se tenir debout, le laissant seul face à l’atrocité de la rue et lui laissant comme seul souvenir un nom idiot : Ludivine. Sans doute avait-elle voulu une fille et voyant que son souhait ne s’était pas réalisé elle avait préféré se débarrasser de cette bouche à nourrir qui ne la satisfaisait pas, espérant pouvoir l’oublier une fois que son cadavre de nouveau-né aurait été mangé par les rats. Malheureusement pour elle, il avait été trouvé par d’autres adolescents ayant connu le même sort que lui et avait survécu aux rongeurs et à la faim, se renommant Allen pour cacher la honte de son prénom et pouvant continuer de vivre ou plutôt, de survivre.
Au fil du temps, Allen avait su faire son trou et du haut de ses 8 ans il avait appris à vivre dans la rue, à suivre les règles et à se jouer des passants pour rester en vie. Il faut dire que quand on a un talent comme le sien, il est bien plus aisé de s’en sortir. La dextérité de ses doigts et l’agilité dont il faisait preuve faisaient de lui un pickpocket né et un tricheur invétéré. Ce n’est pas vraiment simple d’utiliser ce don pour survivre, mais il s’en servait pour faire des spectacles qu’il réalisait pour impressionner les passants. En ajoutant les tours de passe-passe pour leur subtiliser leur argent sans qu’ils ne s’en rendent compte, c’était suffisant pour payer des adultes qui règnent en maître sur le quartier et donc avoir la paix et la nourriture. C’était du racket de la part des voyous des cités qui terrifiaient les plus faibles, mais c’était un mal futile par rapport à la menace de se faire tabasser par dix hommes armés et de mourir dans un caniveau affamé et ensanglanté. Aussi, beaucoup des orphelins de la rue se soumettaient à ce genre de pratiques.
Alors qu’il allait se relever, Allen vit son ombre projetée sur le mur en face de lui. Un sourire en coin de lèvres, il commença à la faire bouger malgré le fait qu’il soit assis, lui faisant prendre des formes toutes plus diverses les unes que les autres : les ombres chinoises étaient sa spécialité. Devant ses yeux, l’obscurité s’offrait en spectacle et se transformait au gré de ses envies. Aucune consistance, aucune force, juste la capacité de changer à volonté pour devenir tour à tour un arbre, un animal ou une silhouette quelconque. Il aurait pu continuer des heures s’il ne s’était pas senti observé par quelqu’un, épié alors qu’il était en train de se détendre. Au coin de la rue, une fille ayant plus ou moins le même âge que lui regardait avec étonnement et émerveillement les formes danser sur le mur.
Assise dans un fauteuil roulant, sa chevelure rose tombant sur ses épaules et ses yeux azur rivés sur le pan de mur, elle ne pouvait s’empêcher de sourire. Leurs regards se croisèrent après de longues minutes durant lesquelles Allen l’observa, moment insolite que seuls deux enfants comme eux peuvent échanger : un mélange de surprise et d’insouciance, de timidité et de candeur. Alors qu’elle s’avançait vers lui, il ne trouva pas la force de se lever pour s’enfuir comme à son habitude quand il rencontrait quelqu’un. Quand bien même il sentit ses joues s’empourprer, signe d’une profonde gêne qu’il n’arrivait pas à s’expliquer, il ne put se lever pour disparaître dans les ombres, pour éviter un contact humain qu’il détestait habituellement. Elle tendit sa main vers lui, souriante et radieuse, faisant abstraction du lieu dans lequel ils se trouvaient, passant outre le passé douteux du jeune homme. En guise de réponse, il attrapa sa main sans le moindre mot. La scène se déroula dans le silence le plus complet et même s’il ne savait pas du tout ce qu’engendrerait un tel geste de sa part, il savait qu’au fond de lui, il ne le regretterait pas.
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L’air mélodieux qui accompagnait le récit d’Allen finit par laisser place à un long silence pesant. Les ombres avaient lentement gagné du terrain et la lumière qui éclairait la salle semblait peu à peu se laisser engloutir par cette obscurité malsaine. L’éternel duel entre la lumière et les ténèbres se jouait sur le plafond de cette chambre digne d’un roi et les deux seuls spectateurs n’osaient pas s’adresser le moindre regard. Finalement, le membre de Sabertooth finit par se lever pour se diriger vers la fenêtre d’un pas lourd, comme si des poids invisibles pesaient sur ses épaules. Son regard vide alla se perdre vers l’extérieur, ses yeux se plissant légèrement à cause des rayons du soleil qui filtraient à travers les épais nuages grisâtres qui masquaient le ciel. L’astre solaire responsable des jeux d’ombres qui emplissait la pièce semblait peu à peu disparaître à l’horizon, le déclin de sa lumière laissant place à la domination des ténèbres :
- Qui aurait pu croire un seul instant que ce jour-là allait nous mener jusqu’à cet instant intime entre vous et moi ? Je me doute que vous vous souvenez aussi bien que moi de cette journée…. Votre fille est venue me chercher, moi, l’enfant des rues à qui personne n’osait adresser le moindre regard. Elle voulait que je vous rejoigne, que j'entre dans votre guilde car elle avait su avec sa magie déceler mon potentiel et moi qui n'avait jamais pu faire confiance à qui que ce soit, j’ai accepté, aveuglément. Je me rappelle de vos protestations quand elle vous a annoncé ça, des doutes que vous avez porté à mon égard. Vous n'étiez pas sûr qu'accepter quelqu'un de l'extérieur était une bonne idée, vous qui aviez l'habitude d'entraîner des mages prometteurs dès le berceau, j'allais devenir votre recrue la plus âgée. J'étais trop indépendant, trop... Instable. Et je pense qu'aujourd'hui est une belle preuve de vos prédictions...
Allen eut un sourire triste en se remémorant ce jour. La jeune fille qu’il avait rencontré dans cette ruelle s’appelait Emma Gallagher, fille de la célèbre pianiste Laura Gallagher et de son mari, le maître d'une petite guilde aux idéaux assez particuliers. Une enfant rayonnante souffrant d’ostéogénèse imparfaite, la maladie ‘’des os de verre’’ comme diraient certains. Condamnée à une existence où le moindre choc pouvait la tuer, elle était réduite à se déplacer en fauteuil roulant et ne pouvait être soignée. Une vie contraignante mais rendue plus pimentée par un don magique assez rare : la capacité à déceler le potentiel magique d'une personne. Ce talent si particulier lui servait à reconnaitre de potentielles recrues pour son père et elle avait vu en Allen un futur membre très prometteur mais surtout, quelque chose de bien plus fort encore. Bien évidemment le temps sut les rapprocher et il devint bien vite son ami plus qu'un simple membre de la guilde, un confident qui partageait sa vie et ses déboires, ses joies et ses tristesses… Et ce parfois même lorsque le chagrin était trop fort.
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Spoiler:
Une nuée de colombes d’un blanc immaculé s’éleva dans les airs avant de disparaître dans la noirceur des nuages recouvrant le domaine Gallagher. Alors que l’orchestre jouait les dernières notes de la marche funèbre, la pluie s’abattit sur le cercueil de Laura Gallagher en guise de dernier hommage, comme si les cieux eux-mêmes pleuraient la mort de la musicienne. Debout dans l’ombre des arbres du jardin et du haut de ses 12 ans, Allen observait la scène en silence. En tant que simple membre de la guilde et n'ayant pas été considéré comme faisant partie du cercle intime de la famille, il n’avait pas pu participer à la cérémonie et ce malgré l’affection qu’avait la défunte à son égard.
En 6 ans, il avait appris à respecter la mère d’Emma et même à grandement l’apprécier. A la demande de son mari, la jeune femme avait eu la directive d'éduquer au plus vite cet enfant qui n'entrait pas dans les codes instaurés par la guilde. Elle avait su le considérer comme son propre fils et l’avait formé à la musique et la cuisine, bien qu'il n'ait jamais été très bon dans le second domaine. De plus, elle avait voulu que sa fille ait le meilleur camarade de jeu qu’il puisse être et avait donc offert au jeune homme la chance d’avoir une formation complète dans de nombreux domaines : on lui avait enseigné l’art du combat, l’équitation, des notions en biologie et en médecine et il devait toutes ces choses à la mère d’Emma. D'une certaine manière et à cause de son arrivée tardive dans la guilde, il avait bénéficié d'un traitement de faveur qui, même s'il trahissait ce besoin qu'avaient les dirigeants de la guilde de le garder à l’œil, lui avait offert la possibilité de s'imaginer avoir une véritable famille. D'une certaine manière, il devait à Laura Gallagher quasiment tout mais aujourd’hui, il ne pouvait la remercier pour tout ce qu’elle avait fait pour lui. Baissant les yeux de tristesse, il s’éloigna du lieu de la cérémonie, parfaitement conscient que la personne qu’il était venu chercher ici ne serait pas présente.
Il prit la route menant à une colline surplombant les nombreux hectares du domaine Gallagher et du sanctuaire de la guilde et comme il s’y attendait, une silhouette se dessina sous ses yeux. Assise dans l’herbe non loin de son fauteuil roulant, Emma contemplait les nuages avec mélancolie. Le vent soulevait ses cheveux avec une élégance presque angélique et ses jambes étendues sur le sol se perdaient dans les tissus de sa robe mouillée par les gouttes qui s’abattaient sur elle. Silencieuse, elle tenait dans sa main une longue chaîne en or au bout de laquelle pendait un petit boîtier orné d’un rubis. A l’intérieur, une photo de sa mère encadrée par des dorures en argent montrait une femme souriante et pleine de vie. Allen s’assit en silence aux côtés de son amie, sans oser porter le moindre regard sur elle. Il ne trouva même pas la force de rompre le silence et se contenta juste de déplier un parapluie afin de protéger la jeune femme de l’eau se déversant sur la vallée… Il était là pour ça après tout...
- Elle n’aurait pas apprécié toute cette cérémonie idiote et pleine d’hypocrites tu sais… Elle aurait préféré qu’il n’y ait que nous deux priant sur sa tombe... Aussi, j’ai décidé de lui offrir ce qu’elle aurait voulu aujourd’hui…
En silence, elle se mit alors à creuser la terre de ses mains, essayant de façonner un endroit où elle pourrait faire reposer sa mère en paix. Comme machinalement, Allen se mit à l’aider sans réfléchir, effleurant sa main du bout des doigts, ce qui le fit légèrement rougir. Entre eux, il y avait une sorte d’alchimie magique qui faisait que l’un savait à quoi pensait l’autre sans qu’aucun des deux n’ouvre la bouche. Ils se comprenaient rien qu’en croisant un regard, connaissaient les gestes de l’autre par cœur. Une fusion fraternelle mêlée à un amour platonique et une compréhension de l’autre quasiment mystique. Ils étaient tous les deux des rebuts de la société à leur manière, ne connaissaient que l’autre et ne vivaient que grâce à l’autre. C’était leur passé que les avaient lié et rien n’aurait pu les séparer. Après de longues minutes à creuser la terre, Emma finit par enterrer le collier qu’elle avait de sa mère et une unique larme vint s’écraser sur le boîtier métallique qu’elle referma par la suite. Une fois recouvert par la terre, ils respectèrent une minute de silence durant laquelle Emma prit sa main. Partagé entre le bonheur, la gêne et la tristesse, Allen sentit alors la tête de la jeune fille s’appuyer légèrement contre son épaule.
- A présent, on est plus que tous les deux… On avance ensemble, quoi qu’il arrive. Et… Al', je peux te demander une faveur ? Tu n’es pas obligé d’accepter hein…
Il hocha lentement la tête, plongeant son regard dans le sien avec tendresse.
- Promets-moi que quoi qu’il arrive… Tu feras en sorte que je sois heureuse.
Alors que les éléments commençaient à se déchaîner autour d’eux, il sourit légèrement et sans la moindre hésitation, il accepta… Loin d’imaginer jusqu’où ça le mènerait….
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Moonlight Sonata - Beethoven
Le regard du jeune Silantis se porta au loin, vers la colline où ils avaient enterré le médaillon de la mère Emma. Il avait fait là-bas une promesse qu’il regrette aujourd’hui, signant un pacte dont il n’aurait jamais pu imaginer les conséquences. C’était à cause de ce pacte qu’il était ici, qu’il avait mis fin aux jours de tous les gros bras de l’homme allongé dans le lit. Il était ici pour sa vengeance, mais surtout pour celle d’Emma… Mais il ne comptait pas sauter les étapes dans son récit et reprit finalement sa place devant le piano. Il caressa le bois en souriant : lui qui avait su nourrir une passion pour les instruments de musique, il ne pouvait qu’admirer la beauté de ce chef d’œuvre. Il reprit enfin la parole :
- Je ne suis pas certain d’avoir besoin de conter la suite des événements. La vie sembla continuer son cours et je fus un élève des plus sérieux, bien décider à remplacer la mère d'Emma dans sa protection. C'est d'ailleurs pour cette raison que lorsque j'ai appris à l'aube de mes 18 ans que des membres de la guilde mettaient en péril la sécurité du sanctuaire, je n'ai pas hésité à partir les traquer, quitte à abandonner mon statut de membre pour protéger Emma avant que le pire n'arrive... J'étais loin de me douter qu'une année plus tard tout ce que j'avais fait n'avait servi à rien, pour la simple et bonne raison que la menace venait de l'intérieur...
Un nouvel air de piano retentit dans la salle, faisant tressaillir l’homme allongé dans le lit. La mélodie était beaucoup plus sombre, tout comme la pièce dans laquelle ils se trouvaient : à présent, les ombres dominaient plus de la moitié de la salle et il devenait difficile de distinguer certains détails dans la pénombre. Dehors, les flocons s’entassaient sur les bords des fenêtres. Un temps propice aux souvenirs douloureux…
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Spoiler:
Il courait…. Il courait sans s’arrêter et jusqu’à en perdre haleine. Sa respiration saccadée et sa démarche vacillante trahissait la fatigue que subissait son corps meurtri. La main portée à son flanc et appuyant sur sa blessure, il ne prenait même pas la peine de s’arrêter pour se soigner car la situation était bien trop grave. Sa vision se troublait, Le sang qui coulait de son nez avait un goût infect dans sa bouche mais il s’en fichait pertinemment. Elle était en danger… Ils étaient tous en danger.
Ses pieds foulaient la neige ensanglantée et il enjambait les cadavres des membres de la guilde avec maladresse sans pour autant leur accorder d’attention particulière. Une demi-heure auparavant, des hommes avaient pénétré dans l’enceinte du sanctuaire et s’étaient mis à tuer quiconque se trouvait sur leur passage. A cette époque, Allen avait rejoint Sabertooth depuis une bonne année et c'était sa première mission sans un partenaire de la fameuse guilde aux dents de sabre. Il avait été appelé par les habitants du village voisin qui craignaient une attaque de bandits qui rodaient dans les environs et que l'ancienne guilde du jeune homme n'avait pas réussi à chasser. Il avait naturellement répondu à leur appel au secours, voyant là l'occasion de retrouver son chez soi durant la mission. Mais tout avec dégénéré : les voleurs n'en étaient pas vraiment, il s'agissait en réalité de criminels de seconde zone chargés par une entité plus puissante de détruire l'ancienne guilde du jeune homme, guilde connue pour être sans défense si elle était attaquée de front, ses mages les plus talentueux étant souvent en mission.
Après avoir franchi les murs avec une étonnante facilité, ils s'étaient mis à piller le manoir sans vergogne et sachant que la vie d’Emma était en danger, Allen était intervenu sans réfléchir. Ses compétences en matière de combat s’étaient largement améliorées avec le temps et il s’était battu pour protéger les lieux… En vain. Il avait pourtant puisé dans toutes ses ressources, atteint des limites dont il ne se serait jamais cru capable d’égaler. Il s’était abandonné corps et âme à ce combat et en avait payé le prix : son corps était couvert de nombreuses blessures et le sang recouvrait la moitié de son visage, coulant du sommet de son crâne pour aller de perdre dans son cou. Equipé de son épée et usant de toutes ses ressources magiques, il avançait malgré les corps calcinés, les cadavres décharnés et les débris jonchant le sol.
Il pénétra dans le manoir après avoir essayé sans succès de protéger le portail principal et manqua de vomir en voyant l’amoncellement de corps aux pieds des escaliers. Les membres de son ancienne guilde avaient tous été décimés et plus rien ne séparait la horde qui avait envahi l’endroit de la chambre d’Emma. Allen accéléra la cadence, décapitant au passage deux pillards restés en retrait. Les cris de la jeune fille résonnèrent au loin et il fut aussitôt animé d’une rage sans nom. Traversant le couloir à la hâte, il balaya deux adversaires de deux coups de poing enflammés et ne fit même pas attention à la douleur physique que l’effort lui avait demandé. Le bruit d’un vitrail se brisant sous le poids d’un ennemi défenestré par l’attaque ne parvint pas à ses oreilles et tout ce qu’il vit, c’est le corps d’Emma au sol alors que ses ennemis se préparaient à lui faire du mal… Puis plus rien !
… Ou du moins, plus rien de très net. Ses coups fusèrent dans tous les sens, il sentait une rage sans nom l’animer et lui donner une force surhumaine. La douleur sembla quitter son corps et il ne fit plus attention aux plaintes de ses muscles qui souffraient atrocement. Chaque attaque qu’on lui portait ne semblait pas le toucher mais lui détruisait tout ce qu’il frôlait du doigt. Insaisissable et effrayant, sa fureur consuma ses adversaires sans leur laisser un instant de répit. Après une rude bataille, le résultat fut sans appel : il ne laissa aucun survivant dans le manoir... A l’exception d’Emma. Lorsqu’il reprit pleinement conscience, il ne savait pas combien de temps s’était écoulé depuis le début du combat. Il baignait dans une mare de sang et la jeune fille le dévisageait. Vidé de toutes ses forces, il ne put la quitter du regard lorsqu’elle s’approcha de lui, dépitée. Elle le prit alors dans ses bras, tremblant légèrement. Allen calqua sa respiration sur la sienne, cherchant le réconfort en elle. Autour de lui, tout n’était plus que désolation et la mort empestait la pièce. Emma prononça quelques mots et expliqua que si les hommes avaient pu pénétrer aussi facilement dans le sanctuaire, c'était à cause de son père et bien qu’il n’était quasiment plus en mesure de bouger, il comprit bien vite qu’ils n’avaient tous deux plus qu’une seule option… Fuir.
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es ombres avaient fini de prendre pleine possession de la salle et seuls d’infimes rayons de soleil arrivaient à percer à travers le voile de ténèbres qui s’était emparé de la pièce. Les doigts d’Allen glissaient sur le piano avec une aisance à couper le souffle, transmettant à son unique auditeur des frissons dans le dos et un sentiment de tristesse et d’appréhension. La musique avait ce don de faire ressentir des émotions en quelques notes et le talent du mage à la flamme bleue ajoutait une beauté sombre au morceau joué. Il se souvenait de cette période non sans douleur et il était encore plus dur d’en parler avec celui qui était la cause de tous leurs maux. Pourtant il se sentait contraint et forcé de le faire, pour elle…
- Je me suis longtemps demandé si vous avez un jour prit conscience de la situation dans laquelle vous nous aviez mis… Déclarés morts aux yeux de tous et traqués par des gens qui vous obéissaient, livrés à nous-mêmes dans un monde où personne ne pourrait nous aider et dans lequel seuls les plus forts peuvent survivre… Sabertooth était bien loin et se rendre jusqu'à son QG dans notre état était impossible, nous étions contraints d'errer dans la région en quêtre d'aide et en se cachant...Mais je me suis rendu compte que tout cela n’était que le fruit de vos attentes. J’ai essayé de la rendre heureuse, de combler ses besoins, de lui faire oublier la trahison d’un père qui préférait se lier à des guildes plus puissantes plutôt que d'assurer la protection de sa propre fille… Nous avons parcouru la région en quête d’un refuge, cherchant à tout prix à s’en sortir… Mais je l’ai vu mourir lentement, perdre le goût de vivre au fil des jours. Elle ne me l’a jamais avoué, mais je pense qu’elle se sentait comme un fardeau pour moi, un ange inadapté à cet enfer… Un enfer que vous aviez créé pour elle.
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Spoiler:
Le reflet pâle d’Emma se reflétait dans l’eau claire de la rivière, ses traits divins de jeune adulte légèrement éclairés par la lumière du soleil. Elle fixait son visage d’un regard vide, perdue dans ses pensées sinistres et qui la hantaient depuis bien longtemps. Ses doigts dessinaient de petits cercles dans l’herbe et sa robe couverte de terre recouvrait à peine ses jambes d’une finesse impressionnante. Malgré sa maladie, la jeune Gallagher restait une femme de 19 ans tout à fait sublime. Elle avait laissé son fauteuil roulant derrière elle, tout comme elle l’avait fait avec ses sentiments : elle se sentait vide, insipide. Sa joie de vivre s’était envolée avec la disparition de sa mère, ses rêves avaient été détruits lors de l’attaque du manoir. Il ne lui restait plus rien… Ou plutôt si, il lui restait Allen, le seul à avoir toujours été là pour elle. En relevant la tête, elle le vit en train de pêcher un peu plus loin, à moitié endormi à cause de tout ce qu’il faisait pour les maintenir tous les deux en vie. Un sourire triste se dessina sur le visage de la jeune fille : il était son ange gardien et donnait tout ce qu’il avait pour elle, mais elle ne pouvait plus supporter de le voir ainsi. Ils ne pouvaient tous les deux plus continuer comme ça.
Les six dernières semaines n’avaient été que fuites, combats et insomnies. Le jeune homme volait leur nourriture, créait des abris dans des coins sauvages pour qu'ils puissent dormir et se privait de bien des choses pour le bien-être d’Emma. Elle en était consciente : elle l’entendait se lever tard la nuit pour faire le tour de leur campement de fortune afin de vérifier qu'ils étaient en sécurité, elle le voyait en ville en train de chercher un moyen de contacter les siens en se rendant compte que de nombreuses personnes dans la région en avaient après eux et surtout elle lisait la crainte dans son regard lorsqu’il lui disait qu’il ferait tout pour que les choses s’arrangent. Il était pour elle bien plus qu’un ami, bien plus qu’un frère et bien plus qu’un amant : il était son protecteur, la seule chose qui jusqu’à présent lui avait permis de survivre… Mais ce n’était plus vivable. Dans un effort surhumain, elle se releva et se dirigea vers lui. Elle fit attention à l’endroit où elle posait les pieds, risquant de se briser les jambes au moindre faux pas. En voyant sa maîtresse faire tant d’efforts, Allen se précipita à ses côtés et la rattrapa de justesse, serrant son corps contre le sien.
- Emma…. Tu ne devrais pas faire ça, c’est dangereux, tu pourrais….
Il sentit les sanglots de la jeune femme contre lui et se paralysa aussitôt. Il n’avait jamais pu supporter ses larmes, devenant vulnérable en la voyant pleurer. Il resserra légèrement son étreinte, déposant un doux baiser sur sa tempe dans l’espoir de calmer ses angoisses. Jamais il n’aurait pu deviner que les quelques minutes à venir seraient les plus difficiles de toute sa vie. Il sentit les doigts d’Emma se refermer sur son col et sa voix tremblotante cracha :
- Je t’en supplie… Tue-moi !
Le sang du jeune homme ne fit qu’un tour, son cœur sembla s’arrêter net et il fut pris de vives sueurs froides. Autour de lui, le monde se figea, comme si le temps avait été suspendu. Il sentait Emma trembler de tout son être et sa phrase résonnait dans sa tête comme étant la pire des menaces. Il n’aurait jamais pu penser un seul instant que ce moment arriverait et pourtant, quelque chose en lui lui avait fait comprendre qu’elle était sérieuse en lui demandant ça. Voyant l’absence de réaction de sa part, Emma répéta :
- Je peux plus continuer ainsi Al’… Tu comprends ? Je peux plus... Je ne peux plus m'endormir et voir le visage de mon père tuer les notres, je ne peux plus voir les cadavres de mes amis à chaque fois que je ferme les yeux… Tu m’as dit un jour que tu feras toujours tout pour me rendre heureuse... Et c’est le seul moyen que tu aies pour me rendre heureuse… Alors je t’en supplie, tue-moi… Tue-moi !
Elle avait crié ses derniers mots, comme un hurlement de désespoir qui déchira le cœur du jeune homme. Elle pleurait à chaudes larmes, son corps parcouru de spasmes incontrôlables. Il sentait qu’elle était à bout, qu’elle voulait en finir mais il se refusait à la quitter, à l’abandonner. Pourtant, les paroles qu’elle avait employé eurent un impact si fort sur son être qu’il ne sut plus quoi faire. Les larmes se mirent à couler le long de ses joues, un nœud se forma dans sa gorge et lorsqu’il croisa le regard de la jeune fille, il laissa aller ses pulsions et l’embrassa.
Un baiser pur, passionné, violent et rempli de sentiments contradictoires. Il l’aimait plus que tout au monde et la détestait de tout son être. Le bonheur et la tristesse se mêlaient dans un échange fusionnel. Il sanglotait, totalement ivre de l’amour qu’il lui portait et de la haine qu’il avait envers sa demande, esclave de ses pulsions et victime des propos de la jeune fille. Les minutes se transformèrent en heures, le temps n’eut plus d’importance et le monde aurait pu s’écrouler qu’il n’en aurait rien eu à faire. Il se mordit la lèvre inférieure jusqu’au sang, serrant la jeune fille de toutes ses forces comme pour la retenir. Soudain, il ne senti plus le souffle de la jeune femme se perdre dans le sien, les muscles de ses bras se relâchèrent et sa tête bascula légèrement en arrière. Alors qui reprenait totalement conscience de ce qu’il entourait, Allen sentit l’acier de sa dague au bout de ses doigts, déchirant la chair de celle qui avait toujours été là pour lui. En un instant, tout était fini… Alors qu’il allongeait son corps mort dans l’herbe, le jeune homme plongea son regard dans celui de la jeune fille : il était terne, dénué de toute vie. Il ferma ses paupières de sa main, enveloppa son corps dans des linges et s’écroula : il venait de tuer Emma.
Il resta à son chevet pendant des jours, immobile, sans boire ni manger. Il espérait mourir ici à ses côtés pour la rejoindre dans l’au-delà, à l’aube du cinquième jour, une silhouette se dessina au loin et s’approcha de son corps à moitié mort. L’énergumène se pencha vers lui, et alors que le soleil l’éblouissait et que la fatigue menaçait de le faire sombrer dans l’inconscience, il entendit une voix résonner :
- Ah ben t'es là ! Ca fait des plombes qu'on te cherche, la maîtresse est furieuse que t'aies pas donné de nouvelles, surtout qu'apparemment, il y a pas mal de grabuge dans la région ! Allez... On va te ramener à la maison...
S'il avait peur que ses souvenirs déforment la voix de son interlocutrice, l'image qu'il vit avant de s'évanouir le conforta dans ses pensées : Sabertooth était venu le sauver.
***
Les ténèbres remontaient le long des barreaux du lit alors que monsieur Gallagher essayait de se débattre. Il n’était plus pétrifié par la présence d’Allen, mais affolé par le sort qui l’attendait. La musique ne s’arrêtait plus, l’air mélancolique que jouait le jeune homme résonnait dans tout le manoir. Il semblait prit d’une frénésie intense et incontrôlable, possédé par ses émotions alors que les ombres semblaient se mouvoir au gré de ses sentiments. Il avait perdu son calme et sa voix se fit de suite plus glaciale :
- Aujourd’hui, j’ai compris qu’Emma n’aurait pas voulu me voir mourir ce jour-là, qu’elle voudrait que je vive pour elle… J’ai laissé une partie de moi le jour de sa mort, j’ai laissé tout ce qu’elle aimé chez moi ce jour-là pour l’accompagner dans les limbes. Mais je ne peux laisser sa mort impunie. Sabertooth m'a ramené jusqu'à son QG et j'ai appris des années plus tard que le sanctuaire servait de repère pour un groupe de mages renégats, me poussant à me demander s'il fallait que j'agisse ou pas... J'ai finalement choisi de venir, pas en tant que mage de Sabertooth, ni en tant qu'ancien disciple, seulement pour une vengeance... Je ne suis plus celui que vous avez connu, je suis devenu celui que vous redoutiez que je devienne… Maintenant, il est l’heure de payer… Si vous la voyez dans l’au-delà, dites-lui que je n’ai pas oublié…
Le mouvement musical se termina en beauté et Allen finit par se lever, faisant finalement face au lit. Saisissant l'homme par la gorge, il le regarda se débattre alors qu'il tentait de l'étouffer et pendant un instant, il sembla hésiter avant qu'une flamme bleutée vint naitre dans sa paume et brûler la gorge du malheureux. Alors que l'homme voyait son corps s'embraser de toutes parts, le mage murmura :
- Oeil pour oeil, dent pour dent et le châtiment pour seule purification...
Et ce fut dans les cris que cette sombre journée se termina...
- - - - - -
La neige s’affaissa légèrement sous le poids du jeune homme, ce dernier marquant le sol de l’empreinte de ses pas alors qu’il avançait d’un pas lent dans les jardins du manoir. Seul au milieu de cet océan de blancheur immaculée, Allen progressait silencieusement, le visage impassible et ses gants noirs tâchés de sang. Autour de lui, le monde semblait s’être arrêté, comme si la nature elle-même avait décidée de se mettre en suspens durant quelques instants, le temps cessant ainsi de défiler alors que le seigneur des démons restait pensif et imperturbable. Il était finalement passé à l’acte et s’était enfin décidé à mettre fin aux jours de celui qu’il jugeait comme responsable de tous ses malheurs. Il avait étanché sa soif de vengeance qui le rongeait depuis si longtemps et s’était enfin délivré du poids qui pesait tant sur sa conscience. Pourtant, cela semblait insuffisant…
Avançant en silence, le mage du Purgatoire réfléchissait : ce jour qu’il avait attendu depuis si longtemps ne semblait pas lui apporter la satisfaction et le soulagement qu’il espérait. Même s’il avait enfin mis un terme à la vie de monsieur Gallagher, un vide sans nom emplissait son âme. Il eut beau chercher quelle en était la cause, aucune réponse ne semblait réellement lui convenir. Peut-être n’avait-il pas suffisamment profité de la souffrance de sa victime ? Peut-être qu’il ne se sentait pas digne de la grandeur de la femme pour qui il avait fait tout ça ? Non… Ces questions ne l’aidaient en rien à comprendre la détresse qui secouait tout son être et le rendait si nonchalant. Pendant un instant, Allen se mit à repenser au parcours qu’il avait effectué sans Emma, à la vie qu’il avait mené sans elle. Peu de temps après sa mort, il était retourné à Sabertooth et en avait un peu oublié sa tristesse, jurant d'utiliser sa chance d'être dans une aussi grande guilde pour punir ceux qui le méritaient. Il avait trouvé une nouvelle famille et savait que c'était la seule histoire qui aurait valu la peine d'être racontée à Emma si elle avait été là. Elle avait toujours voulu son bonheur, et il devait bien avouer que malgré le manque qu'il ressentait, il n'était pas malheureux...
Le membre de Sabertooth s’enfonça un peu plus loin dans les vastes hectares de terrain des Gallagher, toujours aussi silencieux. Grimpant au sommet d’une colline qui lui était bien familière, l’ami d’Emma se dirigea lentement vers un endroit où il s'était rendu la première fois il y avait de cela 14 ans. C’était ici que par un jour de pluie il avait enterré le médaillon de la mère d’Emma, ici qu’il avait fait une promesse qu’il regrettait amèrement aujourd’hui. Malgré la neige, il se remémorait exactement l’endroit où ses mains avaient enlevé la terre afin d’y dissimuler le bijou familial. D’un simple revers, il chassa le nuage blanc et gelé pour laisser apparaitre la terre puis, se mit à creuser le sol froid à quelques centimètres de là où était enfoui le médaillon. En quelques minutes, il élabora un trou suffisamment grand dans lequel il déposa une bague, seul bijou qu’Emma portait sur elle le jour de sa mort. Recouvrant l’anneau de terre et aménageant une sorte de tombe symbolique, Allen resta un moment silencieux agenouillé dans le froid, pensif…
Le ciel sembla s’obscurcir, noyant lentement la colline sur laquelle se trouvait Allen dans les ténèbres. Il avait perdu la totale notion du temps en repensant à toute sa vie, bercé dans ses songes par le deuil de la femme qu’il avait aimé. S’il était là aujourd’hui, c’était parce qu’il savait que bientôt les choses changeraient et qu'il était temps d'écrire la fin de cette histoire, de leur histoire… Portant un dernier regard sur la minuscule tombe improvisée qu'il venait de créer, le mage murmura :
- Tu me manques...
Finissant par se relever et chassant la neige sur ses vêtements, il resta un ultime instant les yeux rivés vers les cieux et inspira profondément, comme s’il essayait de s’enivrer des effluves du vent. Puis, se relevant finalement, il sourit une dernière fois en regardant les lieux, la gorge nouée :
- C'est enfin fini Emma... Je te l'avais promis...
Et alors que l'histoire semblait se terminer, une unique larme vint s'écraser sur le sol, la larme d'un tigre vengé...
[Flashback] La larme du Tigre
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